Reconnaissance faciale

Ça fait bizarre de rencontrer des gens sans les voir.

Exemple :

Il y a peu, je suis invité à déjeuner chez ma marraine. Elle profite de l’occasion pour me présenter son nouveau compagnon. On fait connaissance, on discute et on passe tout le repas l’un en face de l’autre, à la même table. Mais je n’ai pas vu son visage. Pour cela, j’ai dû attendre qu’elle envoie une photo de vacances où ils étaient côte à côte.

Ça met une sorte de distance, de frontière invisible entre moi et le monde.

En même temps, ça me libère de tout préjugé.

Un mal pour un bien ?

Songes

Quand je rêve, je vois normalement. Comme si rien ne s’était passé. D’après mon ophtalmo, c’est mon cerveau qui puise dans mes souvenirs pour recomposer ma vision d’avant. C’est agréable pendant la nuit (sauf si ça tourne au cauchemar…), mais frustrant au réveil. « Il n’y a malheureusement pas moyen d’apprendre à ton cerveau à rêver autrement », m’a-t-elle dit.

C’est fou, les tours qu’un cerveau peut jouer. Au moment où je perdais progressivement la vue, mes rêves étaient normaux… jusqu’à ce que l’action se précipite et que l’obscurité envahisse tout, comme à la fin d’un bon vieux Looney Tunes.

Série noire pour une canne blanche

Voilà un podcast qu’il est bien :

Une dame répondant au nom de Lise Wagner y évoque, je cite, les difficultés rencontrées par les gens qui « voient le monde avec leurs mains et leurs oreilles ». Elle parle de la France, mais c’est transposable à la Belgique.

J’ai malgré tout noté deux différences :
– Le service d’accompagnement à la SNCB est particulièrement efficace et le personnel charmant ;
– Il existe au CHU du Sart Tilman à Liège une équipe de bénévoles spécialement dédiée à l’accueil et l’accompagnement des personnes à mobilité réduite.

Comment aborder un aveugle ?

Un jour, en rue, un jeune garçon m’interpelle :
– Vous avez besoin d’aide, Monsieur ?
– Non, merci. C’est bien gentil.
– Vous êtes sûr ?
– Oui, oui, vraiment, tout va très bien.
L’air de rien, il a évité de commettre plusieurs erreurs plus ou moins répandues. Je prends don cet exemple pour rappeler l’une ou l’autre évidence !
– Un aveugle est… aveugle. Il ne vous voit donc pas venir. Si vous le touchez, vous allez lui coller la frousse de sa vie.
– Un aveugle n’est pas sourd (à moins d’avoir vraiment pas de bol). Il est même particulièrement attentif aux sons qui l’entourent. Inutile donc de crier.
– Un aveugle n’est jamais pressé. Pas parce qu’il est un être supérieur, mais parce qu’il ne peut pas se le permettre.
– Un aveugle sait mieux que vous ce dont il a besoin. Il vous suffit de le lui demander.
Pour aider, alors, comment faire ? Tout simplement comme l’a fait ce jeune garçon : proposer son aide sans élever la voix ni toucher la personne.
Et si une aide est la bienvenue, le plus confortable pour l’aveugle (ou la personne malvoyante, même combat) sera de vous tenir le bras, au-dessus du coude, et de se laisser guider, plutôt que d’être agrippé et tiré dans tous les sens.

De la canne blanche et de son usage en milieu urbain

C’est quoi au juste, une canne blanche, et ça sert à quoi ?

Moi, en tout cas, je ne sors jamais sans ; c’est un peu mon assurance tous risques. Le principe est le suivant  : il faut la tenir devant soi, au niveau du nombril, mais un peu en avant pour ne pas se la prendre dans le ventre au premier obstacle venu. Il convient ensuite de jouer du poignet pour effectuer un balayage au sol, sur une largeur supérieure à celle du corps : si la canne passe, je passe aussi. Important : synchroniser avec la marche. En fait, l’embout de la canne doit être à gauche quand j’avance le pied droit et à droite quand j’avance le pied gauche. Comme ça, la canne repose toujours à l’endroit où je poserai le prochain pas. Plus je marche vite, plus je dois augmenter la vitesse du balayage pour conserver la synchronisation.

La canne remplit ainsi plusieurs fonctions : signaler mon handicap aux gens que je croise et repérer les obstacles pour pouvoir les contourner, mais aussi me renseigner sur la nature du sol, sa déclivité, la largeur d’un passage, la présence d’escaliers (il y a des techniques pour les monter et les descendre en toute sécurité, pareil pour les escalators) , etc.

Voici deux vidéos qui en parlent :

D’un monde l’autre

Depuis que je suis devenu malvoyant à cause d’une vilaine tumeur au cerveau (glioblastome de son petit nom), je m’évertue (plus ou moins vainement) à décrire ce que je vois et quelle est ma vie. Et voilà que je tombe sur cette vidéo qui résume parfaitement ma situation (au détail près que, la pathologie n’étant pas la même, ce que dit cette brave dame de l’évolution future de sa vue ne s’applique pas à mon cas).

Mon frère nocturne

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La première chose à savoir sur mon frère : il est mort le jour de son dixième anniversaire. Ce qu’il faut savoir de moi : je suis né neuf mois après. Maman dit que je suis revenu. Personne ne nous connaît mieux qu’elle. Peut-être a-t-elle raison.

Dans un mois, Jakob aura dix ans, l’âge auquel son frère est décédé, percuté par un bus alors qu’il était à vélo. Du coup, il a peur que l’histoire se répète et qu’il connaisse bientôt le même sort. Sa mère porte bien sûr une part de responsabilité dans cette peur qui s’est installée en lui, elle qui inventa la fable du retour à la vie de l’enfant chéri pour se protéger du passé. Chaque jour, ce mensonge fait toutefois peser sur les épaules du jeune garçon un poids qu’il n’a jamais demandé à supporter : il veut être à la hauteur, ne surtout pas décevoir une telle attente. Il prend d’ailleurs des leçons de piano comme son frère avant lui, allant jusqu’à jouer et s’approprier les chansons écrites par cet autre Jakob qu’il ne connaît pas, mais qu’il côtoie dans ses rêves. Son identité en devient floue ; il ne sait pas très bien quelle part de son imaginaire lui appartient et quelle part lui provient de son frère. Entre les deux, il y a un partage qui tient du mystique. Sous-jacente, il y a aussi une sorte de facilité qui pointe le bout de son nez : marcher dans les pas de l’autre, suivre un chemin déjà tracé, du moins jusqu’à ses dix ans. Au-delà, c’est l’obscurité, l’inconnu, d’où la peur de ne pas survivre à la date fatidique.

Loin d’un professeur de piano qui voit dans les traits de Jakob ceux de son frère, loin d’une mère qui rejoue le drame en boucle et d’une école où il n’a jamais trouvé sa place, Jakob cherche une échappatoire auprès de son amie Miranda. Sa joie de vivre, les risques qu’elle prend, les petits dangers auxquels elle se confronte au quotidien… tout cela devrait permettre à Jakob d’enfin voler de ses propres ailes, de profiter de la vie. Une zone d’ombre reste néanmoins à explorer : celle entourant la disparition d’un père qui a pris la fuite pour tourner le dos à cette histoire de résurrection.

La confusion qui caractérise l’identité de Jakob est au centre du livre et le volet graphique se devait de la souligner. Avec un trait tantôt épais, tantôt très fin, Joanna Hellgren parvient à donner forme à cette indécision qui habite le personnage de Jakob. L’auteur compose ainsi de grandes fresques où les dessins ne prennent jamais le pas sur les mots, et inversement. Cet équilibre, fragile, est maintenu du début à la fin ; la calligraphie, soignée, confère au texte toute son importance. L’ensemble rend une impression de douceur et accorde une place prépondérante au vide, au blanc qui emplit les pages. Comme un écho à l’existence d’un petit garçon souvent ostracisé, partagé entre crainte et curiosité.

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L’arbre blanc dans la forêt noire

L’arbre blanc dans la forêt noire est un récit colonial. Un jeune médecin, Ghislain Desaive, prend ses fonctions dans un dispensaire de la Kalibie, en Afrique centrale. Puisant dans son expérience acquise au Congo belge, l’auteur, Gérard Adam, raconte le quotidien de son héros, sa découverte d’une culture radicalement différente, et surtout la façon dont il se met à aimer ce pays, ces gens, ces coutumes. Il évite également de faire de son livre un simple documentaire, créant de nombreux personnages dont le parcours se suit agréablement et qui renforcent la crédibilité de l’histoire. La curiosité du lecteur est ainsi titillée, non seulement par l’intrigue, mais aussi par la description magnifique de paysages que l’on devine à couper le souffle.

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La langue est très riche et sa qualité ne se dément pas au long des quelque 800 pages que compte ce roman-fleuve. Le style atteint souvent son apogée lorsque l’auteur s’attèle à la description des décors et des ambiances qui servent de cadre aux introspections du héros, qui se demande régulièrement quelle est sa place dans ce pays qui l’accueille pour un temps et qu’il prend en affection. Bien sûr, le livre n’échappe pas à quelques vues colonialistes, présentant la présence occidentale en Afrique comme un levier de croissance et de développement pour les pays colonisés. C’est la pensée de l’époque qui se reflète dans les prises de position de certains acteurs. Cependant, jamais le propos ne s’apparente à un pur plaidoyer pour la colonisation : ce qui marque davantage, c’est la fascination pour une contrée qui n’a pas renié son lien avec la nature et ses traditions, l’envie de s’y faire une place en apportant son savoir, mais sans modeler cette société à l’image de la sienne. La position parfois ambiguë du Blanc présent en terre Noire est ainsi très bien rendue, sans manichéisme ni vaine tentative de s’en dédouaner totalement.

L’arbre blanc dans la forêt noire est un livre qui invite à une lecture sans précipitation, alliant la qualité littéraire à une grande force de témoignage.

Soleil cou coupé

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Ruth, Sacha, Linda. Plus tout à fait des hommes, pas encore vraiment des femmes. Qui êtes-vous ? On vous nomme travelos, êtres de chair à consommer à l’arrière d’une voiture ou sous un pont, vites baisés et vite oubliés par des clients dont déjà le visage s’estompe. Antoine n’est pas de ceux-là. Pour un peu, il serait des vôtres, fuyant le souvenir d’une vie passée, d’une femme partie, d’une mère envolée. Comme vous, il est un vide, un gouffre. Ce n’est pas un travail de nuit qui l’éloigne de ses démons, lui qui arpente les rails de chemin de fer tel un funambule.

Vous vous rapprochez, comme des aimants. Le choc sera âpre entre deux mondes qui s’ignorent, se méconnaissent. L’apprivoisement, lent, se fera pour lui au prix de l’innocence, comme une tardive défloraison qui projette dans un univers inconnu celui qui aura franchi le pas. Pour vous, au contraire, c’est un retour en arrière, à une normalité qui vous échappait, à un rêve que vous pensiez inaccessible. Mais est-ce que cela change quelque chose ? Le ciel reste gris, l’ambiance pesante malgré ces instants de grâce qui font oublier les teintes fanées de l’existence.

Qui suis-je ? Eternelle question qui ne trouve aucune réponse. Pour vous, rien n’avance, à l’image d’une fin qui ne résout rien. Mais l’important est-il d’expliquer, de comprendre ? Non, il faut s’exposer, quitter l’ombre, faire entendre son cri et espérer que quelqu’un, quelque part, y répondra. Pour exister autrement qu’à travers un regard lourd d’une sordide lubricité.

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Oups…

C’est marrant, un blog. On lance le truc, puis un jour on se rend compte qu’on l’a laissé en friche. Bah, tant pis, ce sera ma modeste contribution au gros foutoir qu’est Internet, somme absconse et désordonnée d’initiatives isolées qui mènent à on ne sait trop quoi.