Mise en situation… Dans le salon des chroniqueurs de BDGest’, espace réservé aux rédacteurs pour préparer et commenter les articles à paraître sur le site, notre ami Fabrice annonce fièrement l’arrivée imminente d’une chronique sur l’album « L’homme de mes rêves », de Nadja. Vous pouvez d’ailleurs lire sa chronique ICI. La page de preview, sur laquelle se remarque « cette harmonie de couleurs vives propre à provoquer l’émotion chez le poète », comme le dit justement Fabrice, on voit une femme accablée, avec en fond sonore le retentissement lancinant d’un téléphone.

Dame Marion, jamais avare d’un bon mot, se lança dans une envolée lyrique à laquelle je ne pus m’empêcher de répondre, entamant une sorte de cadavre exquis improvisé dont je vous retranscris le texte ici… Avec les fautes d’orthographe, qui, je vous l’assure, témoignent uniquement de l’empressement lors de l’écriture, et non d’une quelconque maladresse…

Mais, vois-tu, je comprends qu’il manifeste après avoir été mangé par la poubelle au cours d’une expédition aussi vaine qu’inutilement audacieuse, car, chargé à bloc comme il était, il s’est bêtement laissé entraîné par le poids de sa batterie et a chu, avec une grâce contestable, dans la bouche grand ouverte de Poubelle, Charybde des temps modernes, qui dardait, à ce moment précis, sa langue d’épluchures de patates, de pots de yaourt vides et autres joyeusetés propres, après un début de macération, à exhaler un fumet en passe de devenir intense (allez savoir, d’ailleurs, quand Poubelle avait été nourrie pour la dernière fois)… Vraiment ! A quoi pensait-il à ce moment-là, ce téléphone téméraire ? Et à quoi songeait sa maîtresse qui préférait écouter, attachée à son canapé, le chant sirénien de l’Erèbe, cherchant à y trouver quelque solution létale ?
A quoi songeait-elle ? Ma foi, peut-être à la voie douce, réconfortante mais trompeuse du gracieux éphèbe qui, la nuit dernière, l’emmena dans une chevauchée fantastique dont n’aurait pas à rougir la Walkyrie de Wagner, avant de la jeter comme un vieux kleenex usagé, hors service, dont on se sépare avec aussi peu de remords que la morve qu’il contient. Ô râge, ô désespoir, s’écriait dans la nuit noire cette pauvre enfant au coeur déchiré, pour qui la douce étreinte qui la porta au comble du plaisir sous le regard de la lune complice se mue à l’instant en une peine sourde et imparable qui lui vrille les entrailles. Peut lui chaut, dès lors, le sort pourtant funeste d’un téléphone perdu parmi autant de déchets, résidus poisseux d’une société de consommation qu’elle exècre de toute façon du plus profond de son âme meurtrie. Las ! Elle ne peut que constater la déchéance dans laquelle elle s’abîme et s’en va, la tête basse et le dos courbé sous le poids de la honte et du désespoir, claquant la porte à ce damné téléphone qu’elle associe désormais à l’intrigant dont elle tomba sous le charme avant de ployer sous sa perfidie et son infinie traîtrise…

Elle s’abîmait ainsi dans les eaux bourbeuses de ce souvenir infâme. Elle glissait, sans résistance, avide d’épouser l’Oubli, désireuse de se fondre dans les ombres, dans le gris océan qui l’entourait. Son corps meurtri, souillé, honteux, perdait ses formes – n’en avait-il pas trop d’ailleurs ? Et si c’était là, l’origine de cette perfidie sans nom qui venait de la faire basculer de lumière aux ténèbres – , se mêlait à l’environnement sombre de la pièce où elle se morfondait. Il ne restait, émergeant à peine, que le rouge de sa bouche et la pâleur crayeuse de son visage éteint, absent, déjà mort à la vie et à la joie. Elle en avait été fière de ses lèvres ourlées sur lesquelles elle passait, amoureusement, le bâton de cosmétique chic dont elle aimait goûter l’onctuosité. Un peu trop pétant, ce rouge. C’était pourtant sa marque, son originalité. Le bellâtre n’y avait sûrement vu que le signe d’une fille facile. L’avait-elle été ? Facile. Elle ne savait plus. Maintenant, elle était juste grise sur le gris. Obscure dans l’obscurité. Et en elle grandissait le néant, immense trou noir sans aspérités auxquelles se raccrocher.Et la sonnerie retentissait. Râle tapageur et rageur. Insupportable. Que pouvait-il lui apporter ce téléphone ? Lui offrirait-il la liposuccion de l’âme à laquelle elle aspirait. Être vide ! Laisser la cucaracha l’étreindre de ses pattes visqueuses, fouailler ses profondeurs, se gorger jusqu’à satiété du chaos qui l’habitait. Mais gare à l’aube ! à la lumière adverse qui l’obligerait à sortir, à aller, fantomatique, à l’extérieur, à faire semblant, coquille vide forcée d’avancer pas à pas. Que vienne la délivrance, quelle qu’elle soit, et de préférence qu’elle se révèle précipice dans une déchéance plus terrible encore. Une souffrance pour panser une souffrance…

Le visage blême et le regard sans vie, elle prend le chemin de l’extérieur, ce dehors encore emmitouflé dans le voile obscur de la nuit, elle marche sans but et louvoie autant dans les rues de la cité endormie que dans les méandres de ses pensées. Le pas est automatique, et pas un instant elle n’hésite sur la voie à suivre, comme guidée par une voie intérieure qui lui dicte sa conduite. Elle repense à sa vie passée, faite de frasques en tous genres, de rencontres multiples, de désillusions répétées, et elle ne voit au travers de la brume qui s’étend sur le fleuve qu’un avenir semblable à ce passé meurtri. Portant la douleur comme un fardeau, et ne voyant pas d’échappatoire à cette existence qui trouve son acmé dans cette ultime trahison de l’être aimé, c’est le plus naturellement du monde qu’elle se dirige, sans même y penser, vers ce pont vertigineux sous lequel un vide se perd, sans fin, vers les profondeurs insondables du néant. Doucement, presque précautionneusement, elle s’avance, monte sur la rambarde et pointe ses yeux vers cette abîme qui, vu du ciel, prend des airs de caverne, de puits sans fond menant à un monde oublié des hommes et de Dieu, où enfin elle pourra trouver le repos de la chair et de l’esprit, où ses meurtrissures pourront, peut-être, trouver quelque onguent miraculeux. Les yeux emplis de larmes, elle lâche une main, puis l’autre, attirée autant par la pesanteur que par la volonté d’en finir… à moins que ce ne soit l’absence de volonté, celle de vivre, de se raccrocher aux dernières branches, frêles, d’une existence peu enviable.